Depuis fin 2019, la recherche sur la COVID-19 se fait à grande vitesse et génère des coopérations internationales traduites par les co-signatures d’articles scientifiques. La Chine, foyer de l’épidémie, est le principal pays producteur de recherches sur le nouveau coronavirus, mais près de 120 pays sont impliqués au 1er juin 2020. Cette note revient sur la géographie de la recherche portant sur la COVID-19 et son évolution entre le 23 mars et le 1er juin 2020.

Préambule sur la production scientifique

La diffusion rapide de la COVID-19, la nécessité de trouver des solutions pour enrayer l’épidémie et affronter ses conséquences expliquent que nous assistions à une mobilisation accélérée des scientifiques pour publier leurs résultats. Ces publications prennent la forme traditionnelle d’articles dans des revues à comité de lecture et celle, plus directe (car ne passant pas par le filtre de l’évaluation par un comité de lecture) de dépôts de pré-publications (preprints) sur des archives ouvertes (en particulier BioRxiv, MedRxiv et ChemRxiv).

Du point de vue de la diffusion des connaissances, le secteur de l’édition académique en biomédecine, dominé par des acteurs privés enregistrant des marges impressionnantes (voir le chiffre d’affaire d’Elsevier ou Springer), s’est empressé de proposer une mise en accès ouvert de la littérature académique portant sur le thème du coronavirus (exemple chez Elsevier : https://www.elsevier.com/connect/coronavirus-initiatives). Exceptionnellement, le savoir produit par les chercheurs et chercheuses du monde entier est présenté comme un bien public et sa mise en accès ouvert se révèle indispensable pour une circulation mondiale et accélérée des connaissances.

Souhaitant que ces initiatives ne restent pas exceptionnelles et cantonnées au cas de la crise que nous traversons, Vincent Larivière, Fei Shu et Cassidy R. Sugimoto en appellent à une ouverture “sans délai” de la littérature académique (Larivière, Shu & Sugimoto, Février 2020).

Évidemment, cette course au vaccin et à la publication n’est pas dénuée de suspicions de fraudes et d’erreurs scientifiques dont témoignent les cas d’articles et de preprints retirés (voir le site de suivi Retraction Watch) et de son lot de controverses scientifiques. L’affaire Raoult dans le domaine de la virologie a fait l’objet d’une couverture médiatique (et politique) suffisante pour en témoigner (La Science au temps du coronavirus, Gingras, 2020). Que l’on s’appuie sur la littérature publiée dans les revues à comité lecture ou sur les publications disponibles dans les archives ouvertes, il convient donc d’avoir un regard prudent sur les données actuellement disponibles au sujet de la recherche en lien avec la COVID-19.

Précautions prises, la note proposée ici permet d’avoir un aperçu de l’évolution de la provenance géographique des publications scientifiques en lien avec la maladie, parues depuis décembre 2019. La note est suivie d’une recension des initiatives similaires, des corpus à disposition et des outils disponibles pour faciliter la veille sur le sujet. En effet, une inquiétude se développe : comment faire pour suivre l’état de la littérature face à un tel afflux de publications et pré-publications ? Dans un éditorial paru dans la revue Science le 13 mai dernier, Jeffrey Brainard se fait l’écho de cette préoccupation et attire l’attention sur les outils pouvant aider à suivre l’évolution des dynamiques de recherche dans un contexte de “croissance de la science” (Brainard, 2020).

Suivre la progression des recherches sur la COVID-19

Parmi les outils disponibles, l’application web NETSCITY, mise en place à destination des chercheurs et chercheuses, spécialistes de l’information scientifique et journalistes scientifiques pour traiter les données issues des grandes bases de données bibliographiques, permet d’avoir un aperçu intéressant et rapide de la provenance des premières publications portant sur la COVID-19.

Cette application, en cours de développement, est déjà accessible en version beta à l’adresse : https://www.irit.fr/netscity. Elle est le fruit d’une collaboration interdisciplinaire entre trois laboratoires CNRS : l’UMR Géographie-cités (Paris), l’UMR LISST et l’UMR IRIT (Toulouse) avec le soutien du groupe NETSCIENCE du LABEX Structuration des Mondes Sociaux (SMS).

Dans le cadre de la crise que nous traversons, cette application peut permettre de répondre aux questions suivantes :

  • D’où viennent, depuis décembre 2019, les articles scientifiques qui ont pour mots-clefs “COVID-19”, “2019-nCoV” ou “SARS-CoV-2” ?
  • Cette géographie reflète-t-elle la géographie de l’épidémie ou observe-t-on des spécificités caractéristiques de la géographie traditionnelle du champ de la virologie avec un effort particulier des zones où se situent les laboratoires historiques de ce champ ?
  • Que peut-on dire des coopérations scientifiques traduites par les co-signatures de publications ? Malgré l’épidémie et la fermeture des frontières, voit-on émerger des connexions entre chercheurs localisés dans des villes, pays, continents différents ?

Une première analyse, réalisée à partir des données du Web of Science à six dates, celle du 23 mars 2020, celle du 6 avril 2020, celle du 20 avril 2020, celle du 4 mai 2020,  celle du 18 mai et celle du 1er juin permet de mettre en évidence la prééminence des publications en provenance de Chine et la croissance progressive des publications provenant d’autres zones, y compris l’espace sub-saharien – traditionnellement peu visible.

Pour la date du 18 mai, une analyse complémentaire a été menée à partir des données extraites de la base Dimensions. Cette dernière permet de tenir compte des pré-publications. Elle inclut notamment les pré-publications parues sur arXiv, SSRN Electronic Journal, bioRxiv, ChemRxiv, MedRxiv, PeerJ Preprints et Nature Precedings.

Voici le détail des données collectées suivi de quelques représentations graphiques extraites de NETSCITY.

Le 23 mars 2020, 197 publications étaient accessibles dans le WoS (SCI-EXPANDED, CPCI-S, ESCI) parmi lesquelles 70 articles évalués par les pairs, 65 éditoriaux, 35 lettres,  17 recensions, 9 brèves d’actualité, et 1 correction. À titre de comparaison, pour des requêtes similaires, Alexei Lutay trouvait le lendemain : 386 publications dans Scopus, 1262 dans Semantic Scholar et 1766 dans Dimensions. Dans la mesure où la couverture (le nombre de revues couvertes par le Wos reste plus limité, ces différences n’apparaissent pas étonnantes) (Lutay, mars 2020). D’un point de vue thématique, les principaux champs couverts par ces publications sont la médecine générale, la virologie, les maladies infectieuses, l’immunologie, la microbiologie, l’imagerie médicale et les maladies tropicales. La revue médicale Lancet est celle rassemblant le plus de publications à cette date (Tableau 1).

Le 6 avril 2020, la même requête dans le WoS renvoyait 442 publications (soit deux fois plus que 15 jours plus tôt). Parmi elles, 146 articles, 137 éditoriaux, 79 lettres, 41 brèves d’actualité, 34 recensions, et 5 corrections. Les champs de la pédiatrie, de la biologie et des soins intensifs occupent une place plus importante. Celui de la médecine tropicale devient plus marginal. Les principales contributions restent en médecine générale, maladies infectieuses et virologie. A cette date, le British Medical Journal (BMJ) passe devant Lancet en nombre de publications. Les trois premières revues du Web of Science publiant sur le sujet restent le BMJ, Lancet et Journal of Medical Virology (Tableau 2).

Le 20 avril 2020, on compte 1095 publications (soit 2,5 fois plus que 15 jours plus tôt). Parmi elles, 346 éditoriaux, 334 articles, 180 brèves d’actualités, 127 lettres, 92 recensions, et 16 corrections. Les contributions dans le champ de la santé publique et environnementale, ainsi qu’en anesthésiologie, immunologie et oncologie se sont développées. Les principales contributions restent en médecine générale, maladies infectieuses et virologie. À la suite des quatre mêmes premières revues, on remarque la revue Cureus, qui ne comptait à peine que 3 publications à la date précédente. Cette dernière est bien plus jeune et moins conventionnelle que les précédentes. Créée en 2009, elle présente l’originalité d’être en accès ouvert et de pratiquer le principe dit de crowdsourcing dans son processus d’évaluation. Cela signifie que l’évaluation est ouverte et les remarques des évaluateurs sont publiques. Il est intéressant de voir que cette revue innovante, du point de vue de l’édition scientifique, se retrouve au premier plan dans ce contexte d’urgence (Tableau 3). Cela confirme, avec le développement simultané des dépôts sur archives ouvertes, l’attrait pour les nouvelles méthodes de diffusion et de production du savoir.

Le 4 mai 2020, 1913 publications contenant les mots recherchés sont indexées dans le WoS. La croissance a été légèrement moins marquée qu’au court de la quinzaine précédente (multipliée par 1,7 contre 2,5 la fois précédente). Face aux bases bibliographiques concurrentes (déjà près de 5000 publications pour Scopus ; 8000 pour Pubmed ; plus de 10 000 pour Dimensions et Lens d’après  Jeroen Bosman), ce rythme peut paraître étonnant, mais il est en cohérence avec la politique de couverture généralement moins exhaustive du WoS et peut aussi s’expliquer par le choix de procéder à une indexation plus complète de l’information (au 4 mai, la part d’adresses renseignées par publication est de 83 %).

Parmi les 1913 publications, on distingue 629 articles, 592 éditoriaux de revue, 332 lettres, 176 brèves d’actualité, 166 recensions et 18 corrections. Aux précédentes spécialités représentées en tête desquelles la médecine générale, la virologie, les maladies infectieuses, la santé publique et la radiologie, on remarque une participation croissante des anesthésiologistes et des dermatologistes. Les revues comptabilisant plus de 10 publications précédemment se maintiennent dans le top 30, et l’innovante revue Cureus conforte sa place dans le top 5 des revues impliquées (Tableau 4). Deux revues iraniennes intègrent le top 30 : la revue de chirurgie orthopédique Archives of bone and joint surgery et Archives of Iranian Medecine.

Le 18 mai 2020, le nombre de publications indexées sur le WoS est passé à 3398, soit environ 1500 publications de plus en 15 jours. Parmi ces 3398 publications, il y a 1120 articles, 1037 éditoriaux, 658 lettres, 297 recensions, 253 brèves d’actualité, 24 corrections, 2 comptes rendus de colloques, et 1 nécrologie. Du côté des spécialités, on observe que les publications en radiologie et imagerie médicales, ainsi que celles en santé publique ont augmenté plus rapidement que les publications en virologie. L’augmentation des publications en anesthésiologie et dermatologie se poursuit, mais elle s’accompagne d’une évolution encore plus rapide des publications en chirurgie, cardiologie et otorhinolaryngologie. Cette dernière spécialité est particulièrement bien représentée par les publications parues dans la revue Head and Neck qui se hisse à la cinquième place des revues les plus publiantes sur le sujet après la revue Cureus (Tableau 5). Avec 19 publications de plus qu’au 4 mai, la revue Nature se retrouve à la 7e place.

À la même date, une recherche complémentaire sur la base Dimensions avec les mêmes mots-clefs, retourne 4931 pré-publications et 24 801 articles et chapitres. 1804 pré-publications proviennent du répertoire d’archives SSRN Electronic Journal et 846 d’ArXiv. Les principaux champs associés sont la médecine et santé publique, la microbiologie et les sciences cliniques. Les sciences humaines et sociales n’ont pas été exclues de cette recherche : le résultat comprend également des contributions en économie (près de 400 pré-publications et 290 articles et chapitres). Pour les articles publiés, les principales revues ne coincident que partiellement avec celles du WoS (Tableau 6). Les chiffres diffèrent en raison du fait que la recherche porte sur le plein-texte des publications lorsqu’il est disponible alors qu’avec le WoS, il n’est possible de rechercher les mots-clefs que dans les titres, les résumés et la liste de mots-clefs associés aux publications. Le délai d’indexation est aussi plus rapide sur Dimensions.

Le 1er juin 2020, le nombre de publications extraites du WoS s’élève à 5446, soit un peu plus de 2000 publications de plus qu’au 18 mai. Néanmoins, cette quantité reste 5 fois moins importante que celle des publications disponibles sur Dimensions. Parmi les 5444 publications du WoS, on compte 1866 articles, 1615 éditoriaux, 1125 lettres, 483 recensions, 306 brèves d’actualité, 48 corrections, et toujours 2 comptes rendus de colloques, et 1 nécrologie. Du point de vue des spécialités, il y a désormais plus de publications en santé publique qu’en radiologie et imagerie médicales, et plus de publications en infectiologie qu’en virologie. Par rapport au 18 mai, les publications en psychiatrie et pharmacologie ont plus que doublé. Cela se traduit dans la liste des principales revues impliquées par la présence nouvelle de la revue Psychiatry Research. Tandis que la revue Head and Neck enregistre 20 publications de plus qu’au 18 mai et se maintient à la 5e place des revues les plus publiantes, une deuxième revue d’otorhinolaryngologie se démarque Otolaryngology – Head and Neck Surgery, confirmant l’importance des recherches en cours sur la maladie au sein de ce secteur scientifique (Tableau 7).

Venons en à présent à la géographie !

La géographie des recherches sur le COVID-19

Le 23 mars 2020

Au 23 mars, les publications qu’il est possible de renseigner géographiquement (177 parmi 197) proviennent de 39 pays différents (Tableau 8).

Les 5 premiers pays ont produit 69 % de l’ensemble des publications portant sur le sujet. Il s’agit, dans l’ordre décroissant, de la Chine, des États-Unis, du Royaume-Uni, de la Corée du Sud et de la Suisse. Ils sont suivis de près par l’Italie, l’Allemagne et la France (Carte 1).

La production provient de 159 aires urbaines distinctes. Les 55 premières agglomérations ont contribué à près de 80 % de la production (Tableau 9). 

Grâce à NETSCITY, les données sont normalisées de sorte que lorsqu’une publication provient de plusieurs agglomérations différentes, chacune reçoit une fraction de publication proportionnelle au nombre d’agglomérations participantes. Pour réaliser ces statistiques, le niveau urbain considéré est celui de l’agglomération au sens où nous avons procédé à un regroupement de la ville-centre et de sa banlieue (voir la méthodologie expliquée ici). Il en ressort que les principales aires urbaines publiantes sont Wuhan, Beijing, Hong-Kong, Guangzhou et Séoul. La primauté de la ville de Wuhan et le fait que le top 5 soit asiatique témoigne du fait que la géographie de la recherche est ici directement liée à celle de l’épidémie (Carte 2). Ces agglomérations sont suivies par Londres, qui, à cette date, n’est pas la ville européenne la plus touchée par l’épidémie. Il faut donc y voir une place particulière de la capitale britannique dans les champs scientifiques concernés et en tant que siège de revues scientifiques (à cette date, la moitié des publications londoniennes sont des éditoriaux).

Parmi les 177 publications, 96 ont été signées depuis au moins deux agglomérations différentes et 10  ont été signées depuis plus de 6 agglomérations. Cette densité de co-publications permet de s’intéresser aux réseaux de coopérations entre lieux. Au niveau pays, les principaux liens de collaborations sont entre la Chine et le reste des pays du monde : États-Unis, Canada, Australie, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, France. Les scientifiques italiens ont, quant à eux, collaboré plus spécifiquement avec les États-Unis et le Brésil (Graphe 1).

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Au niveau interurbain, on note que les collaborations infranationales sont prépondérantes (en Chine : lien Wuhan – Beijing et Wuhan – Shanghai ; en France : lien Paris – Bordeaux – villes des premiers patients atteints du Coronavirus dans le pays ; en Corée : lien Séoul – Taejon/Daejeon). On enregistre ensuite des coopérations internationales renouvelées entre Rome et Rio, entre Atlanta et Riyadh, entre New Haven et Sydney, entre Paris et Wuhan, ainsi qu’entre Genève et Shanghai (Graphe 2).

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Le 6 avril 2020

Au 6 Avril, les publications qu’il est possible de renseigner géographiquement (381 parmi 442) proviennent de 57 pays différents (Tableau 10).

Les 5 premiers pays font  66 % de l’ensemble des publications portant sur le sujet, ce qui indique que la production est moins concentrée que 15 jours plus tôt. Les trois premiers pays restent la Chine, les États-Unis, et le Royaume-Uni. En revanche, la Corée du Sud et la Suisse sont dépassées par l’Italie, pays européen le plus touché par l’épidémie, et par l’Allemagne (Carte 3).

La production provient de 262 aires urbaines distinctes (c’est 100 de plus que 15 jours plus tôt !). Les 54 premières agglomérations ont contribué à près de 70 % de la production indiquant aussi un mouvement de déconcentration de la production entre villes (Tableau 11). 

Les principales aires urbaines publiantes sont Wuhan, Beijing, Shanghai, Hong-Kong, et Guangzhou. Londres et Singapour passent devant Séoul, qui était la cinquième ville la plus publiante 15 jours plus tôt (Carte 4). Le compte normalisé de publications de Tokyo passe de 1 à 5 ce qui  propulse l’agglomération japonaise parmi les 10 villes les plus publiantes sur le sujet. Quelques espaces urbains se démarquent dans l’hémisphère Sud dont il sera intéressant de suivre la dynamique dans les semaines qui viennent, en particulier : Sao Paulo, Melbourne et Sydney. On remarque aussi l’activité de Riyadh, Téhéran et Beirut au Moyen Orient, sans doute influencée par l’importance prise par l’épidémie en Iran.

Parmi les 381 publications, 187 ont été signées depuis au moins deux agglomérations différentes et 20, depuis plus de 6 agglomérations. Au niveau pays, les principaux liens de collaborations restent entre la Chine et le reste des pays du monde. Le Royaume-Uni développe des coopérations avec les États-Unis et Singapour. L’Inde (Pune en particulier) se connecte à la Chine et la Thaïlande. La Tanzanie s’intègre au réseau scientifique mondial par l’intermédiaire d’une co-publication avec l’Afrique du Sud. De la même manière, le Liban est connecté au réseau par l’intermédiaire de l’Iran (Graphe 3).

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Au niveau interurbain, les collaborations infranationales restent importantes, en particulier entre villes chinoises. En plus de celles enregistrées 15 jours plus tôt, on observe une coopération privilégiée entre Atlanta et Seattle aux États-Unis, ainsi qu’entre Sapporo, Naha et Tokyo au Japon. Par ailleurs, on enregistre un grand nombre de nouvelles coopérations internationales. Les liens entre Toronto et Xian, Londres et Singapour, Ann Arbor et Shanghai se révèlent importants (Graphe 4).

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Le 20 Avril 2020

Le 20 Avril 2020, sur les 1095 publications extraites du Web of Science, 886 contiennent des adresses (affiliations professionnelles) permettant de procéder au repérage géographique de leurs auteurs. Les 209 publications restantes sont essentiellement des brèves d’actualité, éditoriaux et lettres.

Les 886 publications repérables au 20 Avril proviennent de 77 pays différents (Tableau 12).

Alors que les publications issues de Chine ont doublé entre le 6 et le 20 Avril, celles venant des États-Unis et d’Italie ont été multipliées par trois, et d’Iran par 5. Le nombre de contributions du Royaume-Uni, de Suisse et d’Allemagne a également plus que doublé sur la période (Carte 5). En revanche, malgré l’importance prise par l’épidémie en Espagne, la participation de ce pays à la production scientifique en lien avec la maladie reste très faible.

Les 5 premiers pays producteurs sont les mêmes que 15 jours plus tôt et pèsent à nouveau 66 % du total. Dans le top 10, Singapour est dépassé par la Suisse, la Corée du Sud, l’Iran (qui intègre le top 10) et le Canada. Le Japon, quitte le top 10, et se retrouve à la 12ème place, derrière l’Australie. L’augmentation moins rapide de la production des pays asiatiques semble confirmer un déplacement vers l’Ouest du centre de gravité des recherches.

Plus encore qu’une diffusion de la thématique à de nouveaux pays, on observe une démultiplication du nombre d’aires urbaines impliquées. Leur nombre passe de 262 à 456. Les 54 premières agglomérations ne participent plus qu’à 62 % du total de la production indiquant la poursuite rapide du mouvement de diffusion spatiale (Tableau 13).

Londres confirme sa place de première ville publiante sur le sujet en Europe en intégrant le top 5 mondial à la place de Guangzhou. Rome et Taipa (île située en face de la péninsule de Macao en Chine) voient leurs contributions multipliées par trois et se retrouvent parmi les 10 premières agglomérations publiantes au détriment de Chengdu et Tokyo. Téhéran enregistre un bond important passant de la 34e place à la 11e (Carte 6).

Parmi les 886 publications, près de la moitié (431) ont été signées depuis au moins deux agglomérations et près de 50, depuis plus de 6 agglomérations. Au niveau pays, les principaux liens de collaborations restent entre la Chine et le reste des pays du monde. Le réseau des États-Unis avec le reste du monde se densifie de façon importante et le lien entre l’Inde et la Thaïlande se renforce. (Graphe 5).

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Les collaborations infranationales restent importantes, notamment en Chine, où la principale coopération est entre Beijing et Wuhan. Au Royaume-Uni, on voit se développer les collaborations Londres – Sheffield et Londres – Bristol  (Graphe 6).

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Le 4 Mai 2020

Parmi les 1913 publications recensées, 1580 ont une adresse ou plusieurs adresses associées. Ces 1580 publications proviennent de 88 pays différents, soit 10 de plus qu’au 20 avril (Tableau 14).

Le rythme d’augmentation a été moins fort qu’au cours de la période précédente. Avec un taux de croissance d’1,5, la Chine reste en tête, mais son avance diminue par rapport aux États-Unis qui voient leur production doubler. l’Italie conforte sa 4e place avec 2,3 fois plus de publications qu’au 20 avril. La production iranienne triple ce qui permet à l’Iran d’intégrer le top 5 des pays les plus publiants sur le sujet devant l’Allemagne. La Corée du Sud remonte devant la Suisse, tandis que l’Inde enregistre une progression importante lui permettant d’intégrer pour la première fois le top 10.

Ces évolutions semblent indiquer que si l’épidémie a ralenti dans les pays d’Orient ces dernières semaines, leur implication dans la recherche n’en a pas moins été poursuivie : cela peut évidemment s’expliquer par le décalage entre les rythmes de production des publications et leur rythme de parution. Mais il est à noter que ces évolutions sont variables selon les pays et qu’en ce qui concerne le Japon, nous n’observons pas une poursuite de croissance comparable à celle observée en Corée du Sud. Un développement rapide des recherches est également remarquable dans plusieurs pays de l’Est de l’Europe (Hongrie et Turquie en particulier). Du côté de l’hémisphère Sud, l’Australie et le Brésil continuent de se démarquer, occupant respectivement la 10e et la 15e place mondiale (Carte 6).

La diffusion spatiale se poursuit au niveau des aires urbaines. Les 55 premières agglomérations réalisent désormais un peu moins de 60 % du total de la production (Tableau 15). En tout, ce sont 653 aires urbaines impliquées contre 456 au 20 avril.

La capitale britannique confirme son avance au niveau mondial, son niveau de participation se rapprochant de celui des principales villes chinoises impliquées (Wuhan, Beijing et Hong Kong). New York et Téhéran intègrent le top 10 : leur contribution est 3 fois plus importante qu’au 20 avril. La plupart des villes italiennes, étasuniennes et iraniennes impliquées doublent leur contribution sur cette même période. L’implication croissante de plusieurs pays (États-Unis, Italie, Iran, Brésil) se traduit donc à l’échelle de l’ensemble de leur système national de recherche (Carte 7). L’évolution des liens de collaborations scientifiques entre villes en témoigne encore plus nettement (Graphe 8).

756 publications sont le résultat de coopérations entre scientifiques localisés dans des aires urbaines différentes (48 %), et 399 résultent d’une coopération internationale (25 % du total), indiquant bien que la part de coopération intra-nationale reste majoritaire. Les principaux liens de coopérations entre pays sont entre la Chine et les États-Unis ainsi qu’entre ces deux pays et le Royaume-Uni. L’Italie et l’Iran développent des liens plus importants avec les États-Unis et le Royaume-Uni qu’avec la Chine. En revanche, l’Australie, le Canada et l’Allemagne ont jusqu’ici davantage collaboré avec la Chine qu’avec les États-Unis (Graphe 7).

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Le détail des relations entre villes permet de repérer des liens privilégiés à l’international ainsi que d’importantes connexions domestiques. Le graphe de l’ensemble des relations entre villes devenant trop touffu pour être visualisé dans son ensemble, nous considérons les liens les plus importants (au moins deux co-publications). Le réseau ainsi seuillé ne comprend plus que 126 villes sur 593. Du côté droit de l’image, on voit se dégager plusieurs petits ensembles de villes en forte coopération (groupe sud-coréen, dyade allemande, dyade japonaise etc.). Certains de ces petits groupes rassemblent des villes de pays différents (Pune-Bangkok-Haikou, Bruxelles-Montréal-Marseille). Sur la partie gauche de l’image se détache une grande composante comprenant les villes chinoises, les villes étrangères qui y sont connectées, ainsi que les partenaires de ces dernières : les villes iraniennes se raccrochent à ce réseau via les villes britanniques et les villes brésiliennes s’y intègrent via les villes italiennes (Graphe 8).

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Le 18 mai
Web of Science

Sur les 3498 publications extraites du WoS, 2907 contiennent une information géographique permettant de les localiser (soit 83 %). Ces 2907 publications proviennent de 105 pays différents, soit 22 de plus qu’au 4 mai. La liste des pays les plus impliqués connait quelques sensibles modifications (Tableau 16). Les États-Unis et l’Italie doublent leurs contributions. Le nombre de contributions indiennes est encore multiplié par plus de trois. L’Inde s’impose ainsi dans le top 5 à la place de l’Iran. En Iran, le nombre de publications a un peu moins progressé qu’au cours de la période précédente (1,3 fois plus qu’au 4 mai). Dans le top 10, la France et le Canada prennent la place de la Suisse et de la Corée du Sud. La participation de la France est 3 fois plus importante qu’au 4 mai et l’Espagne, même si elle reste encore loin (19e place), voit sa participation multipliée par 5.

La carte de production au niveau des pays témoigne de l’expansion de l’activité de recherche au monde entier. Il n’y a que quelques pays sur le continent africain et en Amérique du Sud depuis lesquels on ne compte encore aucune contribution à la recherche sur la COVID19 (Carte 8).

Au 18 mai, on compte 927 aires urbaines impliquées, soit deux fois plus qu’un mois plus tôt. Les 55 premières villes ne réalisent plus que 53 % du total de la production, mais les deux principales villes chinoises impliquées, Wuhan et Beijing ont, à elles deux, produit 7 % de l’ensemble (Tableau 17).

La participation des agglomérations de Milan-Pavie, Boston, Toronto et Paris est 2,3 fois plus importante qu’au 4 mai, et celle de San-Francisco a quadruplé. Cette dernière se retrouve donc largement devant Los-Angeles, qui la devançait 15 jours plus tôt. Les villes de Delhi et Ankara font leur apparition parmi les villes les plus impliquées. Manchester-Liverpool et Naples se démarquent également par la croissance importante de leur contribution. La carte des participations au niveau des villes témoigne de l’expansion très forte de la thématique en Europe et dans la partie Est de l’Asie (Carte 9). La Russie semble cependant peu impliquée dans l’effort de production scientifique que nous mesurons.

Si l’on s’intéresse aux collaborations, on note que la part de publications en coopérations a très faiblement diminué avec respectivement 47 % de publications entre aires urbaines distinctes et 24 % de publications en coopérations internationales. Les États-Unis apparaissent intensifier leur lien avec l’Italie, le Canada et l’Australie. Les États-Unis (en jaune) occupent désormais une place plus centrale que la Chine dans le réseau mondial des collaborations sur la COVID19 (Graphe 9).

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Enfin, le réseau seuillé des principaux liens de co-publications entre aires urbaines est passé de 126 villes au 4 mai à 206 villes au 18 mai (seuil fixe). L’ensemble de ces villes réalisent 39 % du total des co-publications. Ce ne sont donc que les relations les plus importantes qui sont représentées sur cette figure pour des raisons de lisibilité (Graphe 10). Par rapport au Graphe 8, on constate que plusieurs des petits ensembles isolés précédemment (groupe sud-coréen, dyade allemande, dyade japonaise etc.) sont désormais connectés à la composante principale. Les villes coréennes se connectent via les villes japonaises, elles-mêmes liées aux villes américaines. Les agglomérations de Milan-Pavie et Londres apparaissent centrales et très connectées non seulement avec d’autres villes européennes, mais également avec des villes hors Europe. Les villes indiennes s’intègrent au réseau mondial via Singapour pour Pune, et via Chicago pour Delhi.

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Dimensions

Si l’on se penche à présent sur les données extraites de la base Dimensions, on remarque que 23 % des articles et chapitres et 35 % des pré-publications ont été indexés sans l’affiliation des auteurs. Parmi les 20 838 documents restants (17 738 articles et chapitres, ainsi que 3100 preprints), la plupart disposent d’affiliations ne précisant pas la ville des auteurs ce qui rend leur repérage géographique plus complexe. Malgré ces limites, nous avons pu localiser 2270 pré-publications et 14 865 articles et chapitres (soit 82 % des publications avec adresses). Les pré-publications sont issues de 91 pays différents et 661 aires urbaines, tandis que le corpus total (preprints + articles + chapitre) provient de 131 pays distincts et 1776 aires urbaines. Seulement 29 % des pré-publications résultent d’une coopération entre scientifiques localisés dans des aires urbaines différentes. En revanche, sur l’ensemble du corpus extrait de Dimensions, on compte 42 % de documents co-signés depuis plusieurs aires urbaines et 20 % de coopérations internationales.

La table indiquant la répartition de la production par pays comporte des différences intéressantes par rapport aux données du WoS. Dans les données couvertes par Dimensions, la production issue des États-Unis est plus importante que la production chinoise. Aussi, la participation de la France et l’Espagne est beaucoup plus significative (Tableau 18). Pour une analyse des différences de couverture entre les deux bases, susceptibles d’expliquer ces divergences, voir le travail de Martin-Martin et al., 2020.

Les 55 premières agglomérations sur l’ensemble des 1776 impliquées réalisent 50 % de la production (Tableau 19). Les trois premières agglomérations sont également Wuhan, Beijing et Londres. En revanche, les villes européennes de Milan, Paris, Rome et Madrid, ainsi que la ville canadienne de Toronto sont beaucoup mieux placées. Leur participation les place devant les villes américaines.

Si l’on s’en tient uniquement à la répartition des 2270 preprints, on retrouve une géographie plus proche de celle du WoS avec les villes chinoises, britanniques et états-uniennes en tête (Carte 10).

Enfin, l’analyse du réseau des principales coopérations entre villes (les 300 premiers liens, soit 30 % des co-publications), permet d’observer une organisation mondiale assez claire où l’on voit nettement se dégager l’importance des liens domestiques. Le rôle central de Londres et Milan déjà notable à partir des données du WoS se confirme. Chicago et Toronto occupent également une place d’intermédiaire dans ce réseau (Graphe 11).

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Le 1er juin

Le corpus extrait du WoS comprend 4794 publications auxquelles il est possible d’affecter une localisation géographique, soit 88 % du total. Ces publications viennent de 118 pays différents et 1188 agglomérations urbaines, soit 13 pays et 266 agglomérations de plus que dans le corpus extrait 15 jours plus tôt.

Pour la première fois depuis le début de ce suivi régulier, la hiérarchie des principaux pays impliqués dans les recherches sur la COVID-19 reste stable. Le seul changement significatif se situe au niveau du 13ème rang : l’Espagne qui était auparavant faiblement impliquée, au regard de l’importance prise par la maladie en son sein, a amorcé un rattrapage qui lui permet de prendre la place de la Corée du Sud à la 13ème position. Cette dernière se retrouve à la 16ème position derrière la Turquie et le Brésil (Tableau 20). Si l’on se réfère à la hiérarchie observée à travers les données Dimensions au 18 mai, qui comprennent un plus grand nombre de publications, on peut s’attendre à ce que les places de l’Espagne et du Brésil progressent encore dans les semaines qui viennent, mais également à ce que les États-Unis dépassent la Chine en nombre de publications.

De fait, si la Chine se maintient encore à la première place (Carte 11), elle n’est désormais plus qu’à 45 publications (en compte fractionné) d’écart avec les États-Unis, alors que ce même écart s’élevait à 159 publications au 18 mai. Toutefois, il faut noter qu’une part significative des publications chinoises sur la maladie est également publiée en chinois. La primauté jadis donnée par le gouvernement chinois au fait de publier dans les revues indexées dans le Web of Science est actuellement mise à mal, et une incitation politique à publier dans les revues nationales semble se développer. Cette évolution stratégique, qui remonte à février dernier, est analysée dans un article récemment publié dans la nouvelle revue en accès libre Scholarly Assessment Reports (Zhang et Sivertsen, 2020). Elle a également fait l’objet d’une discussion au cours du séminaire en ligne “Doing science in times of crisis: Science studies perspectives on COVID-19” organisé par l’Université de Leyde, le 27 mai dernier.

Au niveau urbain, les 55 premières agglomérations les plus publiantes sur la COVID-19 ont produit 51 % du total des publications contre 53 % au 18 mai (Tableau 21). Le poids cumulé de Wuhan et Beijing a perdu 1 point par rapport à la date précédente tandis que Londres est passée devant Beijing, et Milan-Pavie et New-York sont passées devant Hong-Kong. Le phénomène de rééquilibrage géographique, déjà identifié aux dates précédentes, s’est donc poursuivi (Carte 12).

Sur l’ensemble du corpus, 2248 publications ont été signées depuis au moins 2 agglomérations urbaines (soit 47 % du total) et 1161 résultent d’une coopération internationale (soit 24 % du total). Parmi ces 1161 publications internationales, 857 sont inter-continentales. Ainsi, presque 3/4 des co-publications internationales résultent d’une coopération entre scientifiques appartenant à des continents différents (18 % du total), ce qui apparaît assez significatif de la situation exceptionnelle des recherches actuelles. Au 1er juin, les 4 principaux liens de coopération en valeur fractionnée sont d’ailleurs des liens intercontinentaux. Ce sont dans l’ordre les liens Chine – États-Unis ; Royaume-Uni – États-Unis; Italie – États-Unis ; Chine – Royaume-Uni.

Au total, le nombre de liens internationaux s’élève à 1233. Si la densité de ce réseau international (nombre de liens réalisés / nombre de liens possibles) n’est que de 18 %, cette quantité de liens justifie que nous nous concentrions sur les collaborations les plus importantes. Le graphe 12 montre l’ensemble des liens dont l’intensité est supérieure ou égale à 3 (valeur normalisée du nombre de co-publications). Il ne représente donc uniquement que les 80 principaux liens internationaux. Ces derniers concernent 36 des 118 pays, mais correspondent à 66 % de l’ensemble des co-publications internationales. Les couleurs correspondent aux grandes régions du monde d’après la classification officielle des Nations-Unies (Graphe 12). La Russie apparaît être le pays le plus périphérique de ce réseau. Elle y est connectée par l’intermédiaire de ses échanges scientifiques avec Israël. Ses collaborations avec les pays qui se trouvent au centre du réseau sont moins significatives.

En gardant le seuil fixé à la date du 18 mai pour visualiser les coopérations interurbaines (valeur des liens strictement supérieure à 1), le réseau  comprendrait cette fois-ci 305 aires urbaines et 43 % du total des coopérations. Ce réseau serait trop chargé pour être lisible. Nous avons donc élevé le seuil aux liens d’une valeur strictement supérieure ou égale à 2 collaborations entre agglomérations. Ce nouveau seuil donne à voir les 147 principaux liens du réseau interurbain, soit 23 % du total des co-publications interurbaines (Graphe 13).

Enfin, compte tenu de l’importance de la part des collaborations intercontinentales parmi l’ensemble des collaborations, il est intéressant de regarder comment se distribuent ces liens entre grandes régions. Le diagramme de Chord présenté ici permet de rendre compte de la répartition des collaborations entre grandes régions du monde, ainsi que la part occupée par les liens de coopérations entre agglomérations urbaines au sein de chacune de ces grandes régions (Diagramme 1). L’intensité des relations entre l’Amérique du Nord et l’Est de l’Asie ressort nettement. On distingue aussi très bien l’existence de liens privilégiés entre l’Amérique du Nord et les différentes parties de l’Europe (Europe du Nord, du Sud et de l’Ouest en particulier).

Comprendre cette géographie

Il peut être surprenant de constater que nous avons affaire à un réseau de coopération qui se déploie à l’échelle du monde entier alors même que la question de recherche ne fait qu’émerger et que nous sommes dans une situation où les possibilités d’échanges sont fragilisées par les fermetures de frontières.

Pour mieux comprendre ce que nous observons, il serait utile de différencier les différents types de publications considérées et réaliser des entretiens avec les chercheurs et chercheuses impliquées. Lors de l’apparition de la maladie, les coopérations avec la Chine se sont avérées essentielles à la fois pour la gestion médicale de la crise et pour la connaissance du virus : les scientifiques chinois ayant procédé rapidement au séquençage du génome, suivis par ceux de l’Institut Pasteur de Paris (Lemke, Janvier 2020). Les laboratoires ont dû se coordonner, partager leurs résultats, programmer des essais cliniques et échanger des spécimens biologiques. C’est le cas avec l’institut Doherty à Melbourne, qui a communiqué dès la fin du mois de Janvier 2020 sur le fait d’avoir réussi à répliquer le virus en laboratoire (Université de Melbourne, Janvier 2020).

Aux échanges accélérés justifiés par l’urgence de la crise, il faut associer ce qui relève des échanges préétablis entre ces laboratoires, ces chercheurs et chercheuses qui s’inscrivent dans des communautés scientifiques préexistantes et avaient déjà été amenés à travailler ensemble auparavant. On peut penser à la communauté des spécialistes des coronavirus, qui sont un type de virus particulier que le Professeur Bruno Canard étudie depuis le début des années 2000 à l’Université Aix-Marseille (Sauvons l’Université, mars 2020).  Au sein de l’ICTV (International Committee on Taxonomy of Viruses), il existe ainsi un groupe d’étude des coronavirus composé d’une majorité de membres américains, allemands et néerlandais (Coronaviridae Study Group).

Le rôle des laboratoires historiques en virologie que sont les Instituts Pasteur de Paris, Hanoi et Dakar et l’Institut Robert Koch en Allemagne dans le suivi de la diffusion du virus et dans la recherche de vaccins est également intéressant à signaler. Pour en savoir plus sur l’histoire de ces deux savants et les instituts qui ont pris leurs noms, voir l’ouvrage et le documentaire éponyme Pasteur et Koch : un duel de géants dans le monde des microbes. Enfin, on remarque le rôle de coordination joué par le STAG-IH (Strategic and Technical Advisory Group for Infectious Hazards), comité d’experts mis en place en 2005 au moment de l’épidémie d’Ebola, qui dispense des rapports et conseils pour l’Organisation Mondiale de la Santé.

Les coopérations internationales sont d’ailleurs particulièrement scrutées et apparaissent essentielles dans le contexte de la pandémie. Ainsi, le World Economic Forum met en évidence plusieurs initiatives intéressantes qui impliquent des centres de recherche situés en Afrique dont l’African Coalition for Epidemic Research, Response and Training et la Partnerships for Enhanced Engagement in Research, susceptibles de favoriser le partage de connaissance et la coordination à l’échelle mondiale (Kituyi, 2020).

Deux équipes de recherche spécialisées en scientométrie explorent les dynamiques de coopérations internationales en les comparant à une situation pre-COVID-19. Pour Zheng et al. , la comparaison porte sur la recherche réalisée depuis 2000 sur le SARS et sur 3 autres maladies : H1N1, Ebola et Zika  (Zheng et al. , 2020). On y observe qu’historiquement les collaborations les plus importantes à propos du SARS étaient déjà des collaborations entre Chine et États-Unis. Les efforts de recherche sur le SARS avaient toutefois diminué dans tous les pays du monde au cours de ces dernières années. La prépublication de Fry et al. explore plus en détail l’état des coopérations sur les coronavirus entre janvier 2018 et décembre 2019 en le comparant à l’état actuel des collaborations depuis l’émergence du SARS-CoV-2 (Fry et al., 2020).

L’intense activité de production scientifique à laquelle nous assistons s’est accompagnée d’initiatives de mises à disposition de la littérature scientifique qui intègrent une littérature bien antérieure à décembre 2019. En effet, le socle de connaissance nécessaire pour avancer dans ce domaine ne se résume pas aux seules publications parues depuis l’apparition du nouveau coronavirus.

Corpus complémentaires

Pour celles et ceux qui seraient intéressés de creuser davantage ces questions, on peut distinguer plusieurs corpus mis à disposition des chercheurs et chercheuses depuis quelques mois :

  1. La base de données de recherche ouverte COVID-19 (CORD-19), une ressource gratuite de plus de 44 000 articles scientifiques, mise à disposition par l’Institut Allen pour l’IA et de ses partenaires. Une sous-partie de ce corpus a fait l’objet d’une analyse géographique disponible sous forme de preprint en ligne (Dousset & Mothe, 2020a; 2020b). En complément, le projet Neural Covidex (University of Waterloo et NYU) propose des moyens automatisés d’explorer ce corpus. Le Service pour la Science et la Technologie de l’ambassade de France propose également un outil d’exploration interactive de la géographie de ce corpus au niveau pays et institutions (Covid-19: CORD19 Publications Dashboard). Il est aussi possible d’explorer la COVID-19 Open research map, régulièrement mise à jour, qui connecte les document de son corpus d’après une mesure de similarité entre les résumés (Vermej, 2020). L’outil SciSight offre également des moyens très innovants d’explorer ce corpus en tenant compte des coopérations entre auteurs, entre institutions et des proximités entre mots-clefs (Hope et al., 2020). Plus généralement, pour explorer les différents outils d’exploration proposés à partir de ce corpus, vous pouvez consulter la page du Allen Institute qui lui est consacrée ainsi que celle de la plateforme web Kaggle (Allen Institute, 2020; Kaggle, 2020). Sur Kaggle, on trouve aussi une sélection des contributions les plus intéressantes (Covid-19 contributions, 2020).
  2. L’ensemble des publications ayant pour mot-clef “coronavirus” de janvier 2000 à mars 2020 disponibles sur la base de données PubMed (6560 documents). Ces publications font l’objet d’une fouille visant à en extraire des relations sémantiques à l’aide du logiciel Gargantext (ISCPIF, 2020), développé par David Chavalarias  (interview dans le journal du CNRS, 2020). Pour d’autres analyses de ce type, on peut suivre les premiers résultats de Chaomei Chen à partir du logiciel CiteSpace (Chen, 2020). Les données PubMed sont également utilisées par Jimi Adams et Ryan Light pour explorer les coopérations et la géographie des publications portant sur la COVID-19  (Adams et Light, 2020).
  3. La base de publications spécialement mise en place par l’Organisation Mondiale de la Santé sur la COVID-19 qui comprend 25 607 publications au 1er juin 2020, dont 548 du BMJ, 228 de la revue Science, 209 de la revue Lancet et 159 de la revue Nature (WHO, 2020).
  4. Les archives ouvertes parmi lesquelles une base de 3625 preprints déposés sur MedRxiv et BioRxiv portant uniquement sur le nouveau coronavirus (MedRxiv, 2020). Pour un bilan du nombre de contributions en lien avec le nouveau coronavirus sur archives ouvertes, voir les analyses de Nicholas Fraser et Bianca Kramer (Fraser et Kramer, 2020). Signalons aussi la multiplication des initiatives visant à faciliter la recherche d’informations sur archives ouvertes : aux États-Unis, via le répertoire d’archives ouvertes de l’Université de Harvard DASH, et en France via HAL (Magron, 2020; HAL, 29 avril 2020). La progression du recours aux archives ouvertes en Science Humaines et Sociales est également à signaler. Ainsi la plateforme SocArxiv d’archive ouverte en sociologie s’est récemment félicitée du très bon nombre de preprints déposés en avril 2020, parmi lesquels 68 sur la COVID (SocArxiv, 2020).
  5. Une analyse de la littérature ouverte (en libre accès) depuis plusieurs bases de données (Dimensions, Scopus etc.) par une équipe de scientifiques de l’Institut de technologie de Bandung en Indonésie (Irawan et al., 2020). Une analyse complémentaire tenant compte du rythme d’évolution des contenus sur le Web of Science et Scopus (Torres-Salinas, 2020). Un suivi de l’évolution de la production et des types de coopérations (domestiques, internationales, multinationales)  à partir des données de la base Dimensions de janvier à fin avril 2020 (Hook & Porter, 2020).
  6. La base de données covid-nma alimentée par l’Institut Cochrane, l’INSERM et l’APHP regroupant à ce jour 809 essais cliniques randomisés. Elle a fait l’objet d’une première analyse incluant une cartographie à l’échelle mondiale (Vuillemot et al., 2020).
  7. La liste alimentée par l’Organisation Mondiale de la Santé des programmes de développement de vaccins en cours (Covid-19 candidate vaccines, 2020). Cette liste a fait l’objet d’une analyse publiée dans Nature reviews (Thanh Le et al., 2020). Ce travail indique que la majorité des initiatives sont actuellement portées par des industries privées nord-américaines.
  8. La plateforme d’exploration de données de publications scientifiques, projets de recherche et brevets sur les Coronavirus et la COVID-19 par la Commission Européenne en coopération avec TIM Analytics (Knowledge for Policy, 2020).
  9. L’initiative de veille scientifique Bibliovid montée par un collectif du Centre Hospitalier de Grenoble avec l’aide d’une pneumologue du Centre Hospitalier de Marseille. Cette plateforme permet de naviguer dans la littérature scientifique sur la COVID classée selon 5 grands types : pronostique, épidémiologique, thérapeutique, diagnostique et recommandations.
  10. La fuite sur Reddit de près de 5000 documents mis à disponibilité par un hacker souhaitant faciliter l’accès à une littérature scientifique d’ordinaire payante aux chercheurs de tous les pays, y compris les pays d’Afrique sub-saharienne (Rakotombrabe, 2020).
  11. Une cartographie des recherches sur les maladies infectieuses à partir des données de la base Scopus réalisée par l’équipe de l’éditeur Elsevier (Elsevier Community, 25 Mars 2020).
  12. L’application de la technologie Scite.AI au cas des publications sur la COVID-19 afin d’identifier les citations à connotation positives et négatives (Kahmsi, 2020).
  13. Le Coronavirus Open Citations Dataset : un jeu de données de publications en accès libre portant sur les Coronavirus comprenant des informations sur 189 697 documents et sur les 49 719 articles cités ou citants de ce corpus (Peroni, 2020). L’accès facilité aux métadonnées issues de Crossref est à rapprocher de cette initiative (Kemp, 2020).
  14. Depuis le 14 avril, le COVID-19 Graph – Knowledge Dashboard développé conjointement par l’équipe AMiner de l’Université de Tsinghua, le Centre chinois des connaissances en sciences et technologies de l’ingénieur, l’hôpital Changgeng de Pékin affilié à l’Université de Tsinghua, le laboratoire d’informatique Alibaba, le centre de recherche de l’Institut de recherche en intelligence artificielle Zhiyuan de Pékin, Sogou Search et Jiepu.  Il fournit des statistiques et des modèles de prévision de l’épidémie mondiale, afin d’évaluer et de prévoir quantitativement le développement et l’état du risque de l’épidémie dans le monde. Il retrace les derniers progrès de l’épidémie dans tous ses aspects, y compris la recherche scientifique, la dynamique gouvernementale et l’opinion sociale.

Enfin, si la présente contribution s’est centrée sur la recherche biomédicale en restreignant la requête aux bases de Sciences et Techniques du Web of Science et en excluant les index de Sciences Humaines et Sociales, cela ne veut pas dire que la recherche sur le coronavirus ne concerne que les champs de la médecine et de la biologie. Cela n’aura échappé à personne que l’épidémie touche à tous les pans de notre société, tant du point de vue de la réponse des services publics et de l’épidémiologie que sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux. L’apport des Sciences Humaines et Sociales est particulièrement important dans ce contexte, en témoigne nombre de spécialistes convoqués dans les médias ces dernières semaines pour aborder la question du confinement. Des initiatives spécifiques de coordination de la recherche se mettent en place visant à faciliter les échanges entre la recherche en biomédecine et la recherche en sciences humaines et sociales, notamment sur le plan épidémiologique. On peut penser en France aux actions du comité CARE, ainsi qu’aux initiatives de mises en commun des recherches comme CovidFight.

En savoir plus

Cette note et les résultats présentés ont été obtenus en utilisant l’application NETSCITY. Cette application applique la méthodologie mise en place dans le cadre d’un programme de recherche sur la géographie des sciences qui a débuté en 2010. Elle permet de traiter rapidement de grandes masses de données bibliographiques, de repérer géographiquement la provenance des publications, d’agréger les données au niveau d’aires urbaines comparables et de reconstituer les réseaux de lieux qui s’établissent entre villes et entre pays à l’échelle mondiale.

Cette application, toujours en cours de développement (vos retours d’utilisation sont les bienvenus) est accessible en ligne à l’adresse : https://www.irit.fr/netscity.

L’équipe de développement comprend Laurent Jégou, géographe et géomaticien à l’UMR LISST à Toulouse, Guillaume Cabanac, informaticien et scientomètre à l’UMR IRIT, à Toulouse et moi-même, géographe à l’UMR Géographie-cités à Paris – Aubervilliers.

Deux étudiants de l’IUT d’informatique de Toulouse ont également contribué au développement web. Il s’agit de Nikita Yakimovich et Nils Bourgon.

Un article de conférence scientifique présenté à la Conférence Internationale Science and Technology Indicators à Rome en 2019 permet de situer l’application dans le contexte des applications de traitement des données sur la science et d’en expliquer le fonctionnement. S’y référer :

 
Laurent Jégou et Guillaume Cabanac ont contribué à l’écriture de cette note.